Voilà maintenant 48 heures que je sais.
Je sais qu’il y a une autre femme. Que tu l’as rencontrée l’été dernier au cours de ton stage. Que vous entretenez une relation depuis au moins 7 mois (novembre 200..., date à laquelle j’ai reçu le fameux SMS qui ne m’était pas destiné : «Bon dimanche à toi ma Belle, je t’aime d’amour. P.») Que ta formation a servi de cadre et/ou de prétexte à vos rencontres et vous permet de vous retrouver régulièrement depuis plusieurs mois. Et que tu n’as pas l’intention d’interrompre cette relation, bien que ta «vie soit ici», c’est-à-dire ton travail et tes enfants. Où il n’est déjà plus question de moi...
Blessure d’amour propre. Je me relève après le K.O. Je ne suis plus l’Elue, la Favorite, celle qui compte tellement qu’elle éclipse les autres, toutes les Autres. Mais de ça, je me remettrai, même si je souffre comme jamais. D’autant que cette Autre (rien de péjoratif ici, je ne connais pas son prénom), n’a fait que s’engouffrer dans un vide que j’ai laissé, par négligence. «Pas de fumée sans feu», comme on dit. Si tu avais été parfaitement heureux, tu n’aurais pas éprouvé le besoin d’aller «voir ailleurs» si l’herbe était plus verte. Or, elle l’est forcément, surtout après 18 ans de vie commune, le stress permanent et grandissant, deux enfants à élever et une épouse «improductive». Le poids, le boulet, celle qui «coupe les ailes». En face, l’attrait de la nouveauté, le frisson de faire connaissance, de se découvrir un peu plus, un peu mieux, à chaque rencontre, et puis la fusion des premiers (é)mois, cette fusion primordiale qui t’a été refusée à ta naissance, et que tu cherches désespérément, et puis cette blessure que j’ai ravivée, bien involontairement, pour me protéger, pour être en accord avec moi-même et authentique avec toi (non, je n’ai jamais eu à simuler quoi que ce soit. Je me dis que j’aurais peut-être dû...)
Voilà pour ce qui est de ma responsabilité: j’ai baissé la garde,
oui, je me suis endormie dans le confort d’une relation que je pensais
à toute épreuve, d’un amour que je pensais plus fort que tous les
obstacles, mais aussi dans la routine d’un quotidien que j’assume,
seule, depuis la naissance de T. Et puis je n’avais pas compris que tes
accès de colère aussi violents que soudains, n’étaient que la face
visible de l’iceberg de tristesse que tu cachais au fond de toi, mais
que tu ne pouvais/savais pas exprimer autrement jusqu’à présent. Et
puis, c’est vrai, contrairement à toi, je n’avais pas – ou plus -besoin
de fusion pour être rassurée sur ton amour : ce qui m’a fait avancer,
ce qui m’a donné de la force, ce sont tes encouragements, la confiance
absolue que j’avais en toi et en ton jugement, ce regard à la fois
bienveillant et pourtant sans concessions que tu as posé sur mes
premiers pas de chanteuse, par exemple, ou sur mes débuts
d’intervenante. Oui, j’ai pris de l’assurance peu à peu,
grâce à toi....
Enfin, je suis responsable d’avoir trop longtemps
cru - ou voulu croire - que ton malaise n'était dû qu'au stress de tes
responsabilités professionnelles. Je t’ai regardé en faire toujours
plus, aller toujours plus haut, toujours plus loin, sans t’avoir rien
demandé de tout ça, mais avec respect et admiration. Oui, j’ai eu tort
de ne pas m’alarmer davantage, j’ai été lâche de penser que les
vacances et un peu de repos suffiraient à tout arranger.
En revanche, le reste, je te le rends. Je ne me sens pas responsable de n’avoir pas pu ou su répondre à des attentes implicites, voire non formulées, jusqu’à ton retour du sud en février dernier, alors que tu avais déjà entamé ta relation avec Elle. Tu es revenu avec tes demandes, des besoins clairs et explicites, et tu m’as laissé croire que la balle était dans mon camp, qu’il était encore temps de sauver notre relation, qu’il ne tenait qu’à moi...Tu m’as donné les clés pour venir te rejoindre alors que tu avais déjà ouvert ta porte à une Autre....
Je me sens condamnée avant d’avoir été jugée. Et je trouve ça
profondément injuste et blessant. Parce que j’étais persuadée que tu
m’en parlerais et que tu me quitterais AVANT d’entamer une autre
relation, si cela devait arriver – et je savais que ça pouvait arriver,
c’était le sens de mes propos de cet été- , mais jamais je n’aurais pensé
que tu "jouerais" avec moi et avec mes sentiments comme tu le fais
depuis des mois. Le plus douloureux, c’est de penser que pendant que tu
étudiais mes faits et gestes à la loupe pour voir de quoi j’étais
capable pour toi, tu devais faire des comparaisons avec ce qu’Elle peut
t’offrir, Elle, dans toute la nouveauté et l’éblouissement de votre
relation, et cette pensée est insoutenable pour moi.
Je ne me sens
pas responsable non plus de ce que tu as projeté sur moi depuis le
début, mais de ton propre aveu, tu es tombé amoureux de l’image de toi
que je te renvoyais. Es-tu sûr de ne pas reproduire la même chose ?
Est-ce moi, ou toi, que tu trompes depuis des mois ? Mais peut-être
qu’Elle, tu l’aimes pour ce qu’elle EST vraiment... Dans ce cas, Elle a
beaucoup de chance. D’autant qu’elle a une grille de lecture et des
outils que je n’ai pas. Elle est la promesse d'un avenir qui chante...
Moi je découvre avec ahurissement que je n’ai été qu’un miroir aux
alouettes, et que le jour où, fidèle à ce que je suis et à ce que je
vois/renvoie, l’image que je projète ne te rassure plus, je suis bonne
pour la casse..... Parce qu’au fil du temps, l’image idéale s’est
ternie, et qu’à un moment je t’ai vu tel que tu étais, dans ta vérité
crue et nue, avec tes 30 kilos de surplus de violences, de tendresses,
de certitudes et de doutes. Et j’ai continué à t’aimer, non pas idéal,
non, mais humain, et tellement riche dans cette humanité...
J’ai
peut-être compris avant toi – pour une fois – ce qu’étaient les
«renoncements nécessaires». Oui, j’ai accepté de n’être pas la fille
idéale que mes parents avaient fantasmée et chargée de combler leurs
manques. Puis j’ai accepté de n’être pas la mère idéale que j’avais
rêvé d’être, alors que tu avais presque réussi à me persuader que
j’étais une mauvaise mère (un rapport avec le «bon père» que tu as si
souvent évoqué à propos de ton frère ?). J’apprends à accepter de
n’avoir pas été l’épouse idéale que tu aurais souhaitée, parce que je
n’ai ni la vocation, ni la capacité, même si je le voulais, de combler
ce «puits sans fond» que tu dis avoir découvert en toi. Rien ni personne ne
le comblera jamais, sauf toi, peut-être....
Oui, je ne suis que ça, toutes ces imperfections-là, et pourtant j’ai autour de moi des témoignages de gens qui m’aiment ou m’apprécient pour ce que je suis. Mais ce que je suis ne te convient plus. Alors je poursuis ma route, avec ou sans toi, j’avance à pas comptés, dans la douleur et dans les larmes, mais j’avance, parce que chaque jour, au milieu du cauchemar éveillé que je vis en ce moment, je me dis que j’ai quelque chose à apprendre, à comprendre, qui m’aidera à tenir le cap, à tenir debout. Il faut que je trouve le SENS de tout ce gâchis.
Tu m’as dit l’autre jour que tu «n’arrivais pas à me lâcher la main». C’est moi qui lâche la tienne, P., parce tu es parfaitement capable de nager sans moi, de "prendre le large". D’ailleurs, c’est déjà fait. Tu dis ne plus exister sans mon regard, mais tu en as déjà trouvé un autre, tout neuf, plus vif, plus brillant, plus attirant, plus excitant, plus séduisant. Et je comprends ton dilemme: «choisir, c’est sacrifier». Mais je ne suis pas sûre de supporter très longtemps que tu vives, que tu respires, que tu t’allonges à mes côtés en pensant à Elle, attendant ses messages, lui envoyant des mots doux, pendant que je m’occupe de ton linge sale. Il est certain que je ne donne pas cher du poids que je peux peser dans la balance, mais je n’ai pas encore l’abnégation nécessaire pour envisager une sorte de «ménage à trois» à distance. Ca c’est encore au dessus de mes forces, et je sais que ce que je vis depuis 3 jours n’est pas bon pour moi. Et j’ai peur qu’à brève échéance, ça nous entraîne au fond d’un abîme de rancœur et d’amertume que nous serions quatre à payer.
Alors je te demande de quitter la maison, le temps de prendre ta décision, de peser le pour et le contre, ce que tu perds et ce que tu gagnes, et de savoir ce qui est le mieux pour toi, ce que tu as vraiment envie de faire de ta vie, et avec qui. A toi de faire le bon choix, en ton âme et conscience, parce que personne ne peut décider à ta place de ce qui est bon pour toi. Moi encore moins que quiconque....
Le livre est ouvert, P., et il le restera jusqu’à ce que tu décides de le refermer, ou non, sur les 18 dernières années de ta vie et de la mienne. C’est à toi qu’il revient d’écrire les prochains chapitres, suivis, au choix, des mots FIN ou A SUIVRE...